JANETTE MAGAZINE
Le Jano du mois : Tw3ddy, une invitation à regarder la condition féminine sous un autre angle. Par Salomé Jeko 9 octobre 2025.
C’est un Jano féministe que nous mettons aujourd’hui à l’honneur : l’artiste peintre Tw3ddy qui enchaine les expositions au Luxembourg depuis cet été. La dernière en date aborde la condition féminine à travers la remise en question de la figure de Nan Wood, visage féminin bien connu de la toile American Gothic de Grant Wood.Tw3ddy, vous êtes artiste peintre. Parlez-nous un peu de vous.J’ai commencé à peindre un peu par accident, il y a une quinzaine d’années. J’avais acheté un tableau qui ne me plaisait pas, alors je l’ai recouvert… et c’est comme ça que tout a commencé. Mais je suis autodidacte. Au départ, je travaillais dans l’abstraction totale, puis peu à peu, je suis allé vers quelque chose de plus figuratif. Aujourd’hui, j’ai deux styles principaux : une approche qui rappelle le Bauhaus allemand et une autre plus proche du Street Art. La peinture, je crois que je l’avais en moi depuis toujours. Enfant déjà, je dessinais beaucoup, notamment à l’encre de Chine. J’ai toujours été passionné d’art, inspiré par des artistes comme Cocteau, Picasso, Basquiat, et par l’esprit du Bauhaus. Je peins surtout à l’acrylique et au spray aérosol, dans l’atelier que j’ai installé au sous-sol de ma maison. Cet été, j’ai montré mes œuvres pour la première fois au public lors du Fuelbox X Festival. Jusqu’ici, je les partageais surtout sur les réseaux sociaux. Les retours très positifs que j’ai reçus m’ont vraiment encouragé à poursuivre.Vous avez enchaîné avec l’exposition I n3v3r w4nT3d t0 B3 4 w0m4N, dédiée à Nan Wood. Comment cette expo est-elle née ?Cette exposition est née un peu par hasard. Tout est parti du célèbre tableau American Gothic de Grant Wood. Je suis tombé dessus et j’ai été frappé, happé même par le regard profondément triste de la femme à gauche. Il s’agit de Nan Wood, la sœur du peintre, qu’il a utilisée comme modèle et volontairement enlaidi pour le tableau, et de son dentiste. Nan Wood était elle-même artiste, elle travaillait le verre et avait une certaine notoriété. Mais sa représentation sur le tableau m’a bouleversé. J’ai eu envie de la « libérer », de la faire vivre autrement, de lui redonner son identité propre et de remettre en question sa place dans cette image figée. Je suis tombé amoureux de cette femme— elle m’obsède même — et c’est elle qui est au cœur de cette exposition.Racontez-nous les œuvres qui parlent de Nan Wood…J’en ai créé 11. Le premier tableau que j’ai peint pour cette série reprend la composition d’American Gothic, mais en inversant les rôles de l’homme et de la femme. Ensuite, j’ai imaginé la vie de Nan, son évolution, son émancipation. Au fil des toiles, elle change : elle se coupe une frange, se teint les cheveux en bleu, puis devient rousse. Elle s’affirme, se rebelle, découvre la liberté. À 30 ans, elle porte du rouge à lèvres, des bijoux, elle sort, elle vit, elle rencontre quelqu’un. À 50 ans, je l’ai représentée avec une couronne sur la tête, car ça y est, elle tient les rênes de sa vie. Puis le temps passe, les couleurs si vives de mes tableaux s’adoucissent, Nan s’interroge sur sa place dans la société à 60 ans, même si elle garde des envies et une énergie intérieure. L’exposition retrace ainsi la vie d’une Nan Wood réinventée, libérée.Certains tableaux portent des titres qui rappellent des chansons, comme His ’n’ Hers de Pulp par exemple. La musique vous inspire-t-elle ?Oui, complètement. La musique fait partie de moi. Souvent, mes toiles reprennent des titres ou des atmosphères inspirés de morceaux que j’aime. La musique m’aide à construire mes images, à traduire une émotion. J’ai aussi autoproduit et enregistré deux albums dans un style Cold Wave, et j’ai toujours eu besoin de créer des passerelles entre le son et l’image. Votre art semble aussi très engagé…Oui, c’est essentiel pour moi. Je vois ma peinture comme une forme de politique poétique et philosophique. À travers mes œuvres, je veux transmettre un message universel et intemporel, quelque chose qui traverse les époques. Avec Nan Wood, j’aborde la condition féminine, car je pense qu’il est important, surtout dans la période masculiniste que nous traversons, de questionner les stéréotypes et de prêter, modestement, ma voix aux femmes. Rien que le titre I n3v3r w4nT3d t0 B3 4 w0m4N représente un cri de révolte contre ces stéréotypes et une quête d’une existence libérée de la douleur que ces attentes sociales engendrent. L’exposition soulève des interrogations fortes sur la place des femmes dans la société, le poids des attentes de genre, et les souffrances que cela implique. Il invite les spectateurs à une introspection sur ces questions universelles et intemporelles. C’est une invitation à regarder la condition féminine sous un autre angle, à interroger et à déconstruire les normes sociales qui perpétuent cette souffrance, tout en offrant un espace pour une réflexion sur la libération et l’émancipation des femmes.Quels sont vos projets à venir ?Tw3ddy : L’exposition I n3v3r w4nT3d t0 B3 4 w0m4N est visible jusqu’au 24 octobre à Moonar Luxembourg et sera probablement prolongée. En décembre, j’exposerai à la Kulturhaus de Niederanven sur une thématique différente, axée sur le monde actuel, l’environnement et les perspectives d’avenir. Je travaille aussi sur un nouveau personnage, The Good Lieutenant, qui portera lui aussi un message d’humanité.





